INTERVIEW
14 juin 2023

Toute une vie au service de la redevabilité

Image

Ibrahim Pam. Photo publiée avec Panel d’inspection.

Par John Donnelly

À la fin de l’année dernière, Ibrahim Pam a été nommé pour un mandat de cinq ans au sein du Panel d’inspection de la Banque mondiale. Il est le premier Nigérian, le troisième Africain et le 19e membre du Panel depuis sa création il y a 30 ans.

Ibrahim Pam est un juriste international et un enquêteur criminel, et il a déjà été à la tête d’un mécanisme de redevabilité indépendant. Il a travaillé au Fonds vert pour le climat, à la Banque africaine de développement et à la Cour pénale internationale. Pourtant, lors d’un entretien avec Accountability Matters, interrogé sur l’élément le plus marquant de sa carrière, il a cité son expérience d’agent civil de maintien de la paix au Soudan du Sud et en République centrafricaine en 2016, quand il a dû enquêter sur des allégations de méfaits commis par des Casques bleus.

Si cette mission était si importante pour lui, c’est parce qu’elle lui rappelait son père.

Ce dernier, décédé alors qu’Ibrahim n’avait que quatre mois, avait été soldat de la paix en 1961 en République démocratique du Congo, qui avait obtenu son indépendance l’année précédente.

« Cela m’a révélé l’impact, sur des générations entières, des conflits, de l’instabilité, des crises de gouvernance et, bien sûr, de la redevabilité, explique-t-il. Et pour moi, c’était aussi une sorte "d’héritage", le fait de servir dans des endroits troublés. »

Il ajoute ensuite : « Des conflits sont toujours en cours au Congo. J’aurais pu être déployé là-bas, 55 ans après mon père. Le fait que ces conflits durent aussi longtemps, qu’ils traversent les générations... soulève en moi la question troublante de savoir combien de temps il faut pour résoudre une crise. À mes yeux, c’est là que réside la véritable tragédie. »

Cette tragédie joue donc un rôle dans la manière dont il considère les conflits et les différends, ainsi que l’importance de faire des progrès, même pas-à-pas. Voici d’autres extraits d’un entretien avec Ibrahim Pam, qui a pris ses fonctions de membre du Panel d’inspection il y a six mois :

 

Q : Comment expliquez-vous une telle cohérence entre vos nombreuses et diverses expériences professionnelles, depuis la commission anticorruption au Nigéria jusqu’à la Cour pénale internationale, en passant par le mécanisme de redevabilité du Fonds vert pour le climat ?

R : Je pense que cela montre que, durant toute ma vie, je me suis consacré aux questions de redevabilité. J’ai notamment participé à la mise en place d’une commission anticorruption et travaillé sur les politiques de lutte contre la corruption au Nigéria, puis j’ai travaillé sur les instruments juridiques internationaux avant de rejoindre la Cour pénale internationale pour me concentrer sur la responsabilité pénale, ce qui m’a permis d’acquérir une grande expérience de terrain en Afrique. J’ai en quelque sorte navigué entre l’échelle mondiale pour la lutte contre la corruption et la responsabilité financière, et une échelle à la fois locale et internationale pour la responsabilité pénale en matière de crimes de masse et de génocides.

 

Q : Quelle était votre opinion sur le Mécanisme de redevabilitéde la Banque mondiale avant d’intégrer le Panel d’inspection ?

R : Il est évident que la Banque mondiale dispose d’un mécanisme de redevabilitébien plus mature que la moyenne : le Panel d’inspection a été créé il y a 30 ans et c’était le premier mécanisme indépendant de ce type au sein des banques de développement. Pour ma part, lorsque j’étais au Fonds vert pour le climat et que je mettais en place l’Unité indépendante d’intégrité, nous avons développé un système d’apprentissage automatique et d’intelligence artificielle pour l’identification des risques. Nous avions engagé un ingénieur spécialiste en données pour ce faire, et il a utilisé les données de la Banque mondiale pour développer le système, compte tenu de la richesse des données et du portefeuille mondial de projets disponibles.

 

Q : Vous avez rejoint le Panel d’inspection en décembre dernier. Quelles sont vos premières impressions ?

R : Après avoir travaillé à la Banque africaine de développement et au Fonds vert pour le climat, c’est formidable de remonter la chaîne et de voir comment tout cela fonctionne. Il est très réconfortant de constater avec quel sérieux l’ensemble de l’institution considère la redevabilité, que ce soit le Conseil des Administrateurs, la direction de la Banque mondiale, le Mécanisme de redevabilitéet le Panel d’inspection. C’est vraiment une grande chance de faire partie de cette institution mondiale qui apporte tant de bienfaits au monde entier, de la vivre de l’intérieur et de participer à un processus qui soutient l’engagement de redevabilitépour les projets de la Banque mondiale.

 

Q : Au début du printemps, l’American University a organisé un événement (a) qui a permis de revenir sur les 30 ans d’action du Panel d’inspection et d’envisager son rôle futur. Quels enseignements tirez-vous de ces discussions ?

R : J’en suis ressorti avec le sentiment que les attentes à l’égard du Panel sont énormes. Son histoire fait peser une lourde charge sur les membres et le président actuels.

Ce que j’ai entendu lors des célébrations de cet anniversaire, c’est une reconnaissance du chemin parcouru par le Panel, une reconnaissance de ses valeurs et de la philosophie qui l’ont guidé depuis l’origine. C’était passionnant de rencontrer tous ces partenaires qui ont contribué à sa création, que ce soit les praticiens, les universitaires ou les militants.

C’était aussi l’occasion d’avoir un regard critique, dans le but de fixer de nouveaux objectifs, d’élargir les objectifs. On a beaucoup parlé de recours, de l’accès des communautés et des individus au Panel, et aussi de nouvelles méthodes et de réformes pour rendre le Panel plus accessible.

 

Q : Parmi tous ces sujets, quel est le plus important pour vous ?

R : Deux, voire trois choses. Tout d’abord, la question de l’accessibilité. Il est très important pour nous de réduire encore davantage les obstacles pour les plaignants(les communautés ou les personnes qui souhaitent déposer une plainte). Cela passe en partie par la sensibilisation, de façon à ce que les communautés connaissent mieux les options qui s’offrent à elles. Il s’agit là d’une tâche permanente à laquelle il faut s’atteler avec un peu plus de détermination.

Ensuite, le deuxième aspect qui me semble primordial, c’est que ce système est construit sur des partenariats et des collaborations. Et il doit en être ainsi. Le Panel ne peut pas agir seul. Il doit travailler en étroite collaboration avec la société civile et le monde universitaire, avec la direction de la Banque mondiale, en résumé avec toutes les parties prenantes du Mécanisme de redevabilité, qui sont essentielles au processus. Le Panel est un acteur parmi d’autres au sein d’un système multipartite. Il est capital que nous renforcions cette plateforme de collaboration.

Cette plateforme implique d’autres acteurs qui font évoluer d’autres éléments de la structure de redevabilité. Au sein de la direction, le Service de règlement des plaintes gère un nombre considérable de dossiers et traite aussi de questions de redevabilité. Le Service de règlement des différends est un maillon du processus dont fait partie le Panel, il s’efforce de trouver une solution, un processus acceptable de règlement des litiges et des plaintes. La société civile joue également un rôle actif. Tout se tient. C’était intéressant pour moi de replacer le rôle du Panel dans un contexte plus large.

 

Q : Et vous serez influencé par l’histoire du Panel, n’est-ce pas ?

R : Oui, il est très important d’avoir une perspective historique claire. Et il est tout aussi important de rencontrer les anciens membres et présidents du Panel, de savoir comment il a vu le jour et comment il évolue, car cela vous aide à projeter ce qu’il pourrait être à l’avenir. Pour moi, cela a été très instructif.

Share this article: